lundi 10 novembre 2008

Cité de glaces

  La peur des eaux profondes. C'est pour ça que je suis toujours resté en ville, bien au centre, jamais près de l'eau. En plein hiver c'est sûr, il y a moins de danger. J'y suis déjà allé sur le lac, sur la glace, mais la crainte est restée. Je savais ce qui se tramait en dessous. C'est creux, noir, froid. J'étais pétrifié. On m'a traîné jusqu'au bord pour me ramener. J'y suis jamais retourné.
  Même ben gelé, le bout des doigts me démange. Il me faut mon violon. Je me le suis fait piquer la semaine passée, quand j'ai dormis au parc. J'ai une idée de c'est qui, mais j'ai juste les soupçons. Pas les preuves. Personne l'a vu depuis, ni le voleur, ni le violon. C'est trop de coïncidences pour moi. Pour l'avoir touché je lui casse la gueule, pour l'avoir volé je le coule dans le lac. On le reverra plus, non. Mon violon non plus.
  J'ai essayé de prévenir les beux, mais ça fait longtemps que plus personne me crois. Je suis une loque, un ivrogne, un déchet, un parasite. C'est juste avec mon violon qu'on m'écoutait. Mes mots veulent plus rien dire. Même quand j'avoue des horreurs.
  C'était pas le plan parfait, parce que c'était même pas un plan. Mais c'était parfait. 
  L'autre nuit, j'ai entendu mon violon crier, de l'autre bord du parc. Ça m'a réveillé. Je sais pas comment j'ai fais mais, deux secondes après, il avait la grosse corde du violon qui lui serrait la gorge. C'est mes deux mains qui tiraient de chaque bords. Il était déjà bleu. C'est lui. J'avais une preuve, asteur. 
  Ça m'a déchiré le coeur, mais fallait que je me débarasse de mon violon. Il était tout cassé. Je l'ai enneigé sur le bord du chemin lui aussi. Merci tempêtes pour ces bancs généreux. Amen.
  Le lendemain, les machines sont passé, on l'a soufflé dans le conteneur. Je savais où on l'amenait. Drette dans le lac. Au moins j'ai pas eu à m'y rendre. Creux, noir, froid. Seul. J'y pense, j'ai peur.