mardi 30 juin 2009

Limbes - 2e partie



Une fois arrivé dans le stationnement de l'hôpital, j'ai pris soin d'ouvrir la portière avant de vomir. Alex va être content de cette petite attention... sauf que j'ai pas eu le temps de tasser ma jambe.

- Aah, tabarnak!
- Penses-tu que c'est une commotion ou la bière? me demande Ti-Poux mi-sérieux, en riant.
- Je sais pas... Je dirais que c'est moitié-moitié, mais je vais attendre le diagnostique du médecin avant de me prononcer. Je viens de scraper ma paire de jeans propre des fêtes, câlisse...

On est cinq: Jean-René, Karine sa nouvelle blonde, Ti-Poux, Alex pis moi. De même dans le stationnement vide et glissant, on a l'air de sortir d'un mauvais Kevin Smith. C'est beau dire...

- T'as besoin d'un nouveau Kotex? me dit Karine.
- Non, celui-là est encore correct. Merci.

C'est elle qui a eu l'idée. C'est pas fou, quand on se dit que c'est quand même à ça que ça sert au départ, éponger le sang. Comme Alex arrêtait pas de chialer avant d'embarquer dans sa Volvo que j'allais tacher ses bancs et qu'on trouvais rien pour le faire taire, elle a sorti ça de son sac, comme un lapin d'un chapeau.

Dans la salle d'attente, je voulais mourir: Je sent la robine et le vomit, la tête m'élance sans bon sens, Jean-René et Karine sa nouvelle blonde sont l'un sur l'autre et se lâchent pas la face, Ti-Poux et Alex font des duels de chaises roulantes et se rentrent dedans. Tout ça m'irrite au plus haut point, mais je dis rien, je patiente. Jean-René et sa nouvelle blonde peuvent bien se mettre juste là, je m'en fout, ça fera quelque chose à regarder; Ti-Poux et Alex, c'est sûr, vont finir par se faire mal mais bon, on est déjà rendu à l'hôpital fait que...

Je me gratte la nuque et mes doigts glissent sur un genre de sirop chaud, qui me coule le long du cou. Ma serviette est pleine. Je tire sur le manteau à Karine la nouvelle blonde à Jean-René, qui me lance son sac sans se déloger de son nouveau chum. Je me sert, prend le nécessaire et même un peu plus: je trouve une prescription de tranquillisants et m'en enfile trois en me disant que ma condition ne peut pas empirer. Grave erreur: il ne faut pas se leurrer, parce qu'il y a toujours pire.

Pour me distraire un peu et puisque les magazines autour sont aussi intéressant que de se fendre le crâne la veille du jour de l'An, j'observe la faune étrange qui m'entoure et constate que, mis à part les énergumènes qui m'accompagnent, il se trouve dans cette morne salle d'attente de vrais patients. Dans le coin il y a le Père Noël avec le dos barré - ça doit faire une semaine qu'il est là...; à côté des machines, une vieille madame en robe de chambre qui à l'air de chercher son chemin regarde Alex et Ti-Poux d'un oeil méfiant; un gars avec la jambe dans le plâtre joue avec son Gameboy DS. J'ai de bonnes chances de passer le prochain parce que dans la salle, je suis quand même le seul susceptible de tomber dans un coma dû à une fracture ouverte... Bon, Alex et Ti-Poux travaillent fort pour entrer dans la compétition, mais j'étais là en premier.

L'infirmière entre enfin dans la salle alors que les tranquillisants commencent leur effet. J'ai la vision d'un ange, un ange vert avec les cheveux roux. Son visage est illuminé et souriant quand elle prononce mon nom et me demande de la suivre. Je me dis qu'elle m'emmène dans un monde meilleur, alors je me retourne pour saluer mes amis que je laisse derrière. Ils ont compris et m'envoient lentement la main en hochant de la tête avec confiance. Je flotte.

J'arrive, je touche presque à la main que me tend l'Infirmière-Ange et comme mes doigts effleurent le bout des siens, une ombre terrifiante se glisse derrière elle pour poser sa main glaciale sur son épaule. Le doux visage de l'Ange-Infirmière Verte change soudainement et je lis l'effrois dans ses yeux. La voix du spectre se fait entendre.

- Je vais avec vous, dit Eve-Marie. Il va avoir besoin de quelqu'un avec lui.

L'infirmière reste muette et moi aussi. Je marche le long du corridor, encadré par ces deux femmes, littéralement entre l'allégresse légère et la lourdeur de la pulsion de mort. Peut-être ai-je eu quelques écarts temporels dû aux tranquilisants et/ou surdose d'alcool et/ou commotion cérébrale mais, comment Eve-Marie a-t-elle pu se rendre ici aussi vite? Comme si elle lisait mes pensés - non, elle les a lu - elle dit:

- Capi voulait pas venir me reconduire. J'ai eu beau le supplier mais il voulait pas. Y'a fallut que je lui fasse une pipe.

Je me suis arrêter deux secondes pour m'interroger si j'avais bien entendu ce qu'elle venait de dire. Elle me regarde avec ce sourire innocent qui me donne des envies de meurtre. Je me retourne vers l'infirmière, embarrassé.

- C'est pas ma blonde, faites-vous en pas...
- Il m'a crissé là v'là un mois, dit-elle, toujours aussi souriante, à l'infirmière. Vous parlez d'un bon temps pour faire ça, hein? Juste avant Noël!
- Attendez dans l'avant-dernière salle, au bout à droite, dit sèchement l'infirmière avant de s'en retourner. Le docteur s'en vient.

J'ai dû me tromper sur les intentions profondes de l'Ange-Infirmière Verte, c'est en enfer qu'elle me conduisait. Un enfer qui sent l'aseptisé, le formol et le plaster, où l'on vous fait attendre avec votre ex pour vous faire recoudre le crâne. Triste, je l'ai regardé partir au loin, qui se traînait les pieds sur le dallage. Elle n'était plus aussi gracieuse et sa nature vilaine se dévoilait maintenant. Plus jamais, les barbituriques.


À suivre...