samedi 16 mai 2009

Limbes - 1re partie



- Viens au bar, je vais te présenter ma nouvelle blonde.

De la manière qu'il disait ça, j'avais l'impression qu'il me disait: "Viens dans le garage, je vais te montrer mon nouveau char". Même nombre de syllabes, facilement interchangeable. J'ai suivis Jean-René jusqu'au bar.

- Je te présente ma nouvelle blonde, Karine.
- Salut.

Il la tenait par les épaules, dirigée vers moi, comme s'il fallait que je la saisisse aussi, de la même façon, et que je la scrute avant d'y apposer mon sceau d'approbation. J'étais mal à l'aise pour elle, pour lui et pour moi aussi parce qu'au fond, j'en avait rien à battre de tout ça. Ce que j'espérais le plus profondément, c'est que le barman me laisserait prendre un dernier verre même si le last call était passé depuis quinze minutes. Heureusement, Jean-René s'est vite intéressé à autre chose ou quelqu'un, j'ai pu me faufiler entre les gens au bar. Karine la blonde est resté planté là. Je pense qu'elle attendait mais qu'elle était pas encore au courant.

- Aller aller, un petit dernier! Pleasepleasepleaseplease.
- Ok, mais tu farme ta yeule là-dessus, tu le sais que je suis pas supposé. Tiens, décrisse.
- Merci Capi, c'est toi mon best. Bonne année encore!

J'ai levé mon verre.

Quand je regarde autour, je vois juste une masse. Masse de chair, masse de bruit, sans sens. Je ne me souviens plus pourquoi j'était étendu par terre, mais je devais avoir une bonne raison de le faire. Les choses se définissent tranquillement et bientôt je distingue les formes et les mots. Je reconnais un visage, un visage que je n'avais pas vu depuis un bout de temps. C'est mon ex, Eve-Marie.

J'aimerais mieux maintenant que tout redevienne une masse indéfinie, ces limbes dans lesquels je flottais étaient douillets. Je me suis fermé les yeux, juste pour voir.

- T'es-tu correct qu'est-ce qui se passe pourquoi t'es tombé je gage que c'est une autre de tes niaiseries pour faire ton intéressant crisse que t'es cave quand tu veux astie je sais pas pourquoi je m'occupe de toi t'es vraiment con...

Non, on s'en sort pas. Je remarque que ça sent la bière. Que mon chandail est mouillé. Durs constats: l'apparition de l'ex, il n'y a plus rien à boire.

Je me suis simplement levé et j'ai pris la porte. Karine était dans l'entrée, elle m'a fait un beau petit coucou de la main. Je lui ai soufflé un petit bec, je pense qu'elle a pas comprit.

Dehors, il y avait mes amis.

- Viens-t'en, on va t'amener à l'hôpital.
- Pourquoi?
- Tu t'es pas rendu compte que t'a le crâne fendu?
- ah oui?

J'ai touché le derrière de ma tête. C'était mouillé et un peu chaud. Je pense que c'est eux qui ont raison.

- Ok, on va y aller. On peut-tu amener Jean-René pis sa nouvelle blonde?